Mon premier était né à Metz, mon second à Charleville (Ardennes), leurs pères étaient capitaines – pour l’un dans le Génie, pour l’autre dans l’infanterie, Verlaine était mauvais élève, attiré par d’autres plaisirs et sensations, Rimbaud un élève surdoué remarqué par ses enseignants. Leur attirance venait d’abord de la poésie avec comme référence commune Charles Baudelaire, révolutionnaire endurci de la langue française et des formes du poème, rejeté par tous les biens-pensants – pansants.

Arthur Rimbaud, Ribaude suivant les temps de Paul, reçut comme un don de la terre la poésie de Paul qui l’incita à se lancer dans l’aventure. Une aventure pas seulement intellectuelle. Le besoin de révolution ne s’agite pas seulement en une seule dimension, il est en 3D au moins.

Ces deux là vécurent un amour intransigeant de la part d’Arthur qui jamais ne supporta les compromissions et même les compromis tout court. Il ne pardonna jamais à son amant les à peu près, les retours en arrière, la douceur même de la vie, lui qui s’ennuya à mourir au sens le plus fort. Il fallait aller voir ailleurs.

Poésie : Rimbaud, Verlaine
Poésie : Rimbaud, Verlaine

Communards

D’abord du côté de cette Commune qui voulait le ciel sur terre et tout de suite. Un résultat étrange de ce second Empire dirigé par « Napoléon le Petit » comme l’avait surnommé Victor Hugo et de la défaite de cette guerre de 1870 qui alimentera les rancœurs. Ce même Hugo servira de boussole à Verlaine qui lui écrira un poème « Mort », un titre qu’il reprendra à la fin de sa vie. La révolution sociale de la Commune sera de courte durée. Elle restera dans l’Histoire comme la première manifestation d’une prise de pouvoir par les travailleurs. Marx, dans « La guerre civile en France » en fera le récit sans en cacher les faiblesses.

Arthur et Paul prendront les chemins de l’exil comme tous les Communards. La Belgique où Paul voudra tuer Arthur et se retrouva en prison – « un arbre par-dessus le toit »… -, l’Angleterre pour une succession de petits boulots pour survivre. Rimbaud partira loin vers l’Eden pour combattre son ennui, sa mélancolie – une maladie aux effets étranges – et se faire négociant. Il apprend l’Arabe qu’il parle couramment aux dires des voyageurs qui le rencontre mais aussi un certain nombre de dialectes et fera, bien sur, de mauvaises affaires. Il mourra d’un cancer semble-t-il.

Verlaine rentré à Paris, après la loi d’amnistie des Communards de juillet 1879, continuera d’écrire malgré la maladie. Arthur est mort le 10 novembre 1891, Paul le 8 janvier 1896.

Un dialogue violent pour construire la modernité

Solenn Dupas, Yann Frémy et Henri Scepi proposent, dans la collection Quarto, une édition qui mêle la vie et les œuvres d’Arthur Rimbaud et Paul Verlaine : « Un concert d’enfers ». Les premiers poèmes – saturniens – de Verlaine cohabitent avec les premiers écrits de Rimbaud, y compris les versions latines où il se met en scène pour figurer des portraits croisés. L’un et l’autre feront partie des Parnassiens qui privilégient la forme et la distance. Cette influence, réelle, sera percutée par « le brouillard fécond des perceptions » pour conduire une révolution dans la forme et le fond de la poésie. Ils feront scandale. Par l’affirmation de leur homosexualité, de leur passion violente qui les dépasse et par leurs œuvres. Il faudra les surréalistes, après la première boucherie mondiale, pour (re)découvrir Rimbaud, la saison en enfer et les la couleur des voyelles, un appel direct à la liberté de création. Je peux décider de quelles couleurs sont les voyelles – cette couleur qui est la mienne que je n’impose pas – et peux m’en servir avec toute liberté.

De l’un à l’autre aucune copie, aucun plagiat mais une influence réciproque. Arthur apporte la dureté, le réel et les rêves étrangement arrangés, la force et la volonté d’être tandis que Verlaine se trouve plus du côté du plaisir, de la grivoiserie et d’une sorte de prière qui le rend humain trop humain. L’un est du côté de la jouissance, de la lucidité celle qui fait mal, l’autre de celle de l’imaginaire un peu rose. A eux deux, ils représentent l’entrée dans la modernité, l’évocation du futur. Un peu de 20e siècle dans ce 19e pourrissant. Une sensibilité à fleur de peau qui leur permet d’envisager d’autres mondes, d’autres univers, d’avoir la mémoire du futur. C’est particulièrement dans la musique de ces vers. Verlaine par une répétition savamment construire laisse penser qu’il a participé à l’invention du jazz qui se sert de ces citations dans des ensembles différents pour féconder la musique d’hier. C’est bien l’objectif de ces deux là.

Cette édition permet à la fois de suivre ce couple à la fois dans leurs vies et dans leurs œuvres. Un dossier à charge de la poésie vivante, libre, fraternelle et érotique.

Nicolas Béniès.

« Arthur Rimbaud, Paul Verlaine, Un concert d’enfers », Solenn Dupas, Yann Frémy et Henri Scepi, Quarto/Gallimard, 1855 p., Paris, 2017, 29,50 euros


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