Mariée depuis vingt-cinq ans à Soso, Manana, la cinquantaine, est professeure dans un lycée de Tbilissi.
Le couple partage un appartement avec les parents de Manana, et leurs deux enfants.
Ils forment, en apparence, en dépit des quelques problèmes mineurs que pose la cohabitation, une famille heureuse.
Jusqu’au jour de son cinquante deuxième anniversaire où, à la surprise générale, Manana annonce sa décision de quitter le domicile conjugal et d’aller s’installer seule dans un petit appartement.
Dans une société patriarcale comme la Géorgie où l’on considère qu’une femme qui vit sans homme est moins protégée, moins respectée et vouée à la précarité, la décision de Manana est un acte audacieux mais également éminemment politique.
D’autant plus que son isolement ne lui est pas imposé mais qu’elle agit selon sa propre conscience sans le besoin de rendre de comptes à personne.
Avec le sien en mal d’autonomie, le personnage de sa mère très attachée aux traditions et au respect du patriarcat, celui de sa fille un peu frileuse que Manana pousse à prendre sa vie en main, à bousculer les habitudes, « Une famille heureuse » dresse le portrait de trois générations de femmes dans la Géorgie d’aujourd’hui.
Le film de Nana et Simon présente, au départ du récit, une famille géorgienne classique regroupant sous le même toit, les parents, les grands parents maternels et les enfants en âge de partir mais en attente du moment où ils deviendront autonomes.
Car en Géorgie, la vie en communauté familiale est partie intégrante de la culture.
Cependant, Soso échappe à l’image attendue du chef de famille. On ne lui connaît pas d’activité professionnelle et il montre, face à la décision de s’en aller de Manana, une compréhension surprenante. Son opposition au départ de sa femme le pose plus en victime qu’en homme blessé dans son orgueil de mâle.
Il en est de même du grand-père qui reste souvent muet face à la personnalité autoritaire et débordante d’une épouse qui prend seule les décisions du couple.
Mais l’équilibre qui maintenait la famille dans un état d’harmonie apparent était fragile et le départ de Manana va devenir le révélateur de cette fragilité…La famille devient une sorte de bateau qui tangue et qui aurait du mal à retrouver son équilibre.
Nana et Simon, une fois mis en place l’axe narratif de l’histoire, le départ de Manana et l’onde de choc qui s’en suit, s’attachent plus en profondeur, dans un second temps, à chacun des membres de la famille à travers le prisme révélateur de l’événement central.
Mais en dehors de la finesse dans l’approche des personnages, le tour de force de leur mise en scène réside dans la façon qu’ils ont de filmer la famille en mouvement dans l’appartement, les déplacements incessants de chacun à travers un espace relativement exigu, cet espèce de chassé-croisé qu’une caméra virtuose et fluide suit, surprend, précède, frôle au passage et qui, associée à une bande-son où les bavardages se superposent, donne au final à cette famille un air de profonde authenticité.
«Une famille heureuse » est un film qui, à partir d’un événement isolé mineur, en dit long sur l’état d’un pays qui a du mal à prendre de la distance avec le poids des traditions pesant sur les mentalités mais qui révèle cependant l’esquisse d’une ouverture nouvelle.
Francis Dubois
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