A soixante ans, à cause de sa santé fragile, Toussaint n’a d’autre solution que d’aller s’installer chez sa fille Jazmin, dans son appartement de Mexico. D’origine haïtienne, il a eu une existence désordonnée, n’a jamais réussi à prendre racine nulle part, ne s’est jamais montré un père attentif et encore moins aimant. Il est, au final devenu, au moment où elle le recueille, un parfait inconnu pour Jazmin qui, en le recevant, fait son devoir de fille mais n’a l’intention de se laisser attendrir pas plus par la situation où il se trouve que par la démence vasculaire, la maladie dont il est atteint.
Au gré de cette cohabitation, Toussaint va recomposer le puzzle de son passé sous le regard sec, rugueux et sans amabilité de sa fille. Mais la présence de son père distille au fil des jours, comme malgré elle, au profond d’elle-même, des réflexes filiaux qui vont lui permettre de mettre de l’ordre dans une existence jusque-là peu rigoureuse, d’aller enfin de l’avant et de faire des choix déterminants…
On pouvait craindre, à la lecture du synopsis, que «Jazmin et Toussaint» ne soit qu’ un film de plus sur le conflit des générations, les relations difficiles entre un homme et sa fille qui se sont perdus de vue pendant des années, acteurs d’une situation dont chacun reporte tacitement, la part de responsabilité sur l’autre. Mais d’entrée, on sait que ce sera pas le cas, que les deux protagonistes du récit n’entrent dans le moule d’aucun cliché, que les situations engendrées par leurs retrouvailles forcées, à la lumière de leurs personnalités singulières, produisent un effet de rugosité et que, parce que sont exclus de leur tête à tête les moindres signes d’affection voire de sympathie, on est dans une relation affective hors normes. A la sécheresse des propos minimalistes de Jazmin quand elle s’adresse à son père, répondent l’agacement, l’hostilité , les répliques grinçantes de Toussaint.
Et si Claudia Saint-Luce renseigne peu sur la vie de ses personnages. Si on sait peu de choses sur la situation sociale de Jazmin, sur ses activités professionnelles, peu de choses sur le passé chaotique de Toussaint, la construction dramatique en creux n’en est que plus efficace pour installer dans le huis-clos d’un appartement, un climat hostile, oppressant, mais jamais glauque.
Les zones d’ombre que Claudia Saint-Luce fait planer sur son récit concernant ses personnages, au lieu d’apparaître comme des manques, deviennent des éléments stimulants pour le récit en le chargeant de mystère, de silences méprisants et de secrets enfouis, jalousement gardés. Le film consiste en un enchaînement de séquences le plus souvent brèves aux effets cinglants, en des parties de ping-pong verbal dont les deux parties sortent à égalité. Indifférence, attirance refoulée. On ne connaîtra que partiellement, le fin mot de l’histoire mais on sortira de là à la fois envahi d’incertitude et à part égale, de la certitude d’avoir assisté à une réconciliation souterraine mais réelle.
«Jazmin et Toussain» est une œuvre totalement aboutie, un film sur le «handicap affectif» et sur le refoulement des sentiments.
A voir sans hésiter.
Francis Dubois
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