C’est bien avant que n’éclate l’affaire Fillon que Marie Ndiaye a écrit ce texte. Dans ce qui se présente comme un conte cruel sur l’exercice du pouvoir, Notre Élue, c’est ainsi qu’elle est nommée dans la pièce, est une icône. Modèle de probité, elle s’est entièrement dévouée à la ville dont elle est le maire et a su redonner un peu de lustre à une ville qui déclinait.
L’Opposant, c’est ainsi qu’on le nomme, a été clairement battu et voudrait bien renverser la tendance aux prochaines élections. Pour cela il est prêt pour la perdre à trouver dans le passé de l’Élue, plutôt secrète sur cette partie de sa vie, quelque chose de bien sordide, quitte à l’inventer. Il organise l’irruption dans sa vie bien rangée, auprès d’un mari aimant et de deux enfants, d’un couple qui prétend être ses parents, un couple vulgaire qui va se charger de dynamiter sa vie et sa réputation à coups de calomnies hurlées par mégaphone dans les rues de la ville.
Il y a dans la pièce de Marie Ndiaye quelque chose de dérangeant, un secret jamais dévoilé. Pourquoi cette élue bien sous tous rapports ne renvoie-t-elle pas ces prétendus parents ? Bloc d’obstination irrationnelle, elle oppose à la calomnie le silence. Son choix crée un malaise et nous interroge sur notre démocratie où accusations et dénégations se succèdent. Peu importe de quel bord sont Notre Élue et l’Opposant, c’est sur les failles des uns et des autres que la pièce se concentre dans un paysage où ne manquent ni les malversations, ni les déceptions sources de traîtrises. Ce qui semble intéresser Marie Ndiaye c’est la bulle de solitude où chacun s’enferme, la probité modèle au point d’en devenir insoutenable de Notre Élue et son choix de refuser de répondre à ce dont on l’accuse et pour l’Opposant, qui finit par gagner grâce à ses calomnies, un sentiment de culpabilité et de honte envahissant.
La mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia cherche à donner à la pièce le ton du conte. De lourdes tentures apparaissent, disparaissent, laissent voir en transparence un chœur d’enfants vêtus de blanc comme dans un rêve ou un cauchemar. Les espaces privés succèdent aux espaces publics où se croisent les divers protagonistes. On se demande toutefois pourquoi il a tenu à mettre en scène une majorette qui n’apporte rien au propos. Le choix des acteurs est par contre très convaincant. Avec sa blondeur et son vissage lisse Isabelle Carré donne à l’Élue un côté calme et froid tout en laissant une impression de secret dont on ne saura jamais rien. Elle est à la fois attirante, tous même son adversaire sont séduits, et un peu inquiétante. Patrick Chesnais incarne magnifiquement l’Opposant, avec l’air fatigué de celui qui se demande s’il doit continuer la lutte, qui finit par se dire qu’il ne gagnera qu’avec un coup bas et qui n’a qu’amertume et honte quand il est enfin vainqueur. La lutte politique a laissé sur la scène deux perdants qui se murmurent des choses dans un coin de la scène et tous deux sont magnifiques.
Micheline Rousselet
Du mardi au dimanche à 21h, le dimanche à 15h. Relâche le 5 mars
Théâtre du Rond-Point
2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 44 95 98 21
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