Sur l’île de la Réunion, il faut savoir qu’un sac posé sur une route, impose qu’on évite de l’approcher car il a une signification particulière dangereuse. Il s’agit d’un «sac de la mort» porteur de malheur.
La croyance veut, que si on l’approche ou qu’on marche dessus, le mal produit ne disparaisse jamais et qu’il a la possibilité de se transmette.
Conçu par un guérisseur, lors d’une pratique rituelle, le sac qu’on a disposé sur une route pour diffuser le mal, renferme, au milieu de feuillages, des morceaux d’un animal sacrifié, des déchets, du sang et un vêtement ou un objet souillé par une maladie ou le «mauvais œil».
Celui qui aura marché à proximité ou sur le sac pourra être libéré de ses pouvoirs malfaisants, si, replacé sur une route, le malheur se transmet à celui qui, à son tour marchera ou roulera avec son véhicule, sur le sac.
Celui qui ne croit pas au pouvoir de sorcellerie ne sera pas pour autant épargné par les pouvoirs maléfiques de l’objet mais, ce qui est pire, ignorera que le mal est en lui.
Dans le film d’Emmanuel Parraud, Patrice, le personnage principal, est considéré comme un «cafre» (le cafre étant, sur l’île de la Réunion, un descendant d’esclave d’origine africaine).
Être esclave selon les termes du Code Noir élaboré par le ministre Colbert et relayé par l’humaniste Chateaubriand entraîne pour l’individu l’interdiction de se marier et d’avoir des enfants, de pratiquer une religion, de garder une relation avec ses origines et au moment de sa mort il n’a pas droit à une sépulture.
C’est cet héritage encore très présent dans les mentalités et la croyance en des faits de sorcellerie qui hantent le film d’Emmanuel Parraud et font de Patrice un personnage vulnérable et marginalisé.
C’est la rencontre guidée par le hasard d’Emmanuel Parraud avec Patrice et son frère Charles qui est à l’origine de « Sac la mort ».
Dans un contexte de fragilisation des individus, les rituels représentent une force, un refuge et s’ils viennent à se perdre dans une société moderne où ils pourraient paraître obsolètes, il faut les réinventer. Il faut une sorte de « vestale » des rituels qui veille à leur reconduction faute de quoi, on perdrait prise dans une société mystique imaginaire des origines et cela favoriserait le chaos qui nous menace.
Le film immerge le spectateur dans les pensées de Patrice et tente de l’amener à voir, à réagir comme lui, à ressentir comme lui cette hostilité et cette imprévisibilité qui l’entourent et l’inquiétude qu’elle génère.
Patrice, comme autrefois les cafres, réagit avec légèreté et l’humour des désespérés quand ils se savent condamnés.
Emmanuel Parraud, dans le traitement de ses personnages, ne provoque pas la compassion mais il veut simplement que le spectateur éprouve de l’empathie à leur égard, qu’il voit en eux des êtres humains qui lui ressemblent malgré le dénuement, la pauvreté et les difficultés qui vont avec…
Patrice n’échappera pas à un destin tragique en dépit de son extrême gentillesse.
Son chemin aura été celui d’un homme doux et craintif qu’une société violente pousse à l’acte inexorable.
Un film hors mode, à contre-courant de la production cinématographique, attachant et passionnant.
Francis Dubois
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