Pierre Tardieu est un solitaire, une homme de l’ombre. Il est travailleur intérimaire dans une grande ville et vit dans la vieille maison familiale avec son vieux père malade.

Peu de gens, à part son entourage immédiat, ont conscience de son existence.

Et pourtant, sans n’avoir jamais été percé à jour, depuis des mois, Pierre est un redoutable tueur en série capable d’une cruauté insoupçonnable…

Cinéma : Cruel
Cinéma : Cruel

« Cruel » est l’histoire d’une enfance heureuse mais mal vécue, sans doute inaboutie et de l’homme transparent qui en a résulté.

Un homme qui ne sait peut-être plus si la solitude lui a été imposée par les circonstances ou si elle est le résultat d’un choix de sa part.

C’est l’histoire d’une rencontre importante de cet homme en apparence tranquille avec une femme qui aurait pu le sauver mais dont l’entrée dans sa vie va causer sa perte.

Mais c’est aussi l’histoire d’une grande ville qui est une prison invisible.

Dans la plupart des films dont c’est le sujet, les tueurs en série tuent pour des raisons d’ordre psycho-sexuelles. Parce que dans leurs fantasmes, ils associent le sexe et la mort.

Le tueur de «  Cruel  » n’appartient pas à cette catégorie de maniaque. Il n’a aucune raison objective de tuer mais un mécanisme s’ enclenche, comme hors de lui, qui le fait entrer dans un processus irréversible depuis le repérage de sa future victime jusqu’à la dissimulation du cadavre en passant par la séquestration et le moment du crime.

Pierre ni un révolutionnaire en révolte, ni un asocial mais ses actes sont une réponse d’humain à un vide existentiel, à une incapacité d’exister aux yeux des autres alors qu’il n’a ni parent, ni amour, ni frère, ni sœur au regard de qui il pourrait exister.

Ses victimes sont des individus « normaux », des gens ordinaires dans une existence ordinaire. Il les choisit à sa propres image car ils sont désespérément communs.

« Cruel » n’obéit pas aux règles du suspense et la violence qui surgit ne procure aucun plaisir au personnage.

Le récit d’Eric Cherrière se contente de créer un univers insolite à l’atmosphère singulière qui pourrait être à la fois la cause et le résultat du besoin de tuer..

Si c’est un film d’horreur, l’horreur y est invisible et l’objectif n’est pas de provoquer un choc sur le spectateur.

Si Eric Cherrière évite tous les poncifs du film de genre, c’est en grande partie grâce à l’interprétation de Jean-Jacques Lelte, inconnu du grand public et qui par son charisme, l’intériorité de son jeu à la fois limpide et complexe, crée un personnage totalement inédit de tueur.

C’est dans un mélange d’indifférence, de distanciation, opposé à une détermination sauvage le moment venu, que réside la singularité de l’œuvre.

C’est aussi dans la façon de filmer une ville, Toulouse, intimement associée au récit. Comme une ville ordinaire mais également comme un lieu où tout pourrait concourir à faire de Pierre, un assassin.

« Cruel » est un film qui a disposé d’ un budget très modeste. Le film aurait pu faire apparaître le handicap des films réalisés en dehors du système. Mais Eric Cherrière est arrivé à faire de ce handicap, une force.

Peut-être parce que, comme dans les séries B des années 50, il a su tirer le maximum des décors, des accessoires et des comédiens dont il savait disposer.

Dans «  Cruel  » la maison du tueur est celle de l’arrière grand mère du cinéaste et sa chambre est celle où il dormait enfant. Les rues qu’il arpente sont celles de son quotidien et il se trouve que le comédien Jean-Jacques est son voisin. Il est probable que cette proximité familière qui vient en contraste avec la cruauté du sujet a produit sur le déroulement du récit qui renvoie aux grands classiques du genre un effet salutaire.

 Cruel  » est une œuvre puissante, sobre et parfaitement maîtrisée.

Le film d’Eric Cherrière puise certainement sa force et son ampleur de sa modestie et de sa sincérité.

Francis Dubois


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