Alexandre Pierrepont suit les pas de Michel Leiris, comme un passage de témoin. Anthropologue et ethnologue, il se projette dans le « champ jazzistique » – pour reprendre le titre de son premier ouvrage, aux éditions Parenthèse – pour construire son imaginaire à force de mots. On dira poète pour aller vite. Les mots sont souvent traîtres, ils disent et se reprennent en confinant la chose ou l’être à sa dénomination. Il arrive que, comme chez Alice, la résistance s’organise en sortant des mots avec d’autres mots ou la musique.
La musique est ici construite, improvisée par le batteur Denis Colin. L’autre protagoniste de cette aventure. Il fait aussi sortir la batterie – instrument emblématique du jazz rappelons-le – de son strict rôle qui lui est assigné pour aller voir ailleurs si elle ne peut pas bâtir d’autres mondes, d’autres ambiances.
Le créateur de mots et celui des rythmes comme des sons ne se mêlent pas totalement. Celui qui dit ne cherche pas à chanter mais à décrire, tandis que le musicien cherche une réponse, une relance, une manière de commenter la parole.
Pierrepont commence par cette séance du 24 décembre 1954 de Miles Davis et du « trou » de Monk sur « The Man I Love ». Il en donne sa version. Intéressante. Il ne faudra pas se contenter du texte écrit où s’est glissé – sur mon exemplaire – quelques fautes dont la confusion entre « secondes » et « minutes ».
Il ne craint pas la leçon – cf. « Gestes et opinions des huit tribus », sorte d’illustrations de son livre, aux éditions Parenthèses, sur l’AACM, « La Nuée » – ni la transe que le jazz appelle, constitutive qu’elle est de sa créativité, de son originalité, beaucoup trop de critiques l’ignorent encore. Le titre même de l’album, « traités & accords », indique les objectifs de ce voyage. Il présente quelques-uns des musicien-nes qui comptent dont la flûtiste Nicole Mitchell, ex-présidente de l’AACM.
L’histoire n’est pas oubliée. 2017 fêtera, n’en doutons pas en ces temps de commémoration, le centenaire de la première apparition du nom de jazz sur un 78 tours. Un double anniversaire. Le 78 tours était en train de supplanter le rouleau métallique de Edison et le jazz – même si Philippe Baudoin a retrouvé une mention de ce terme quelques années auparavant – s’imposait. Depuis la parution de cet album, la revue américaine « DownBeat » a titré sur cette année 1917 qui a changé, dit-elle en titre, la « course » du jazz… En février 1917 donc l’Original Dixieland Jass Band conduit par Nick La Rocca et Larry Shields – un descendant de Siciliens et un Juif d’Europe de l’Est, nés tout deux à la Nouvelle-Orléans – publiait ce disque. Une première orthographe, « Jass », qui a fait jaser les tenants d’une musique d’origine française et blanche. Le mois d’après, le 8 mars exactement, la journée internationale des femmes, commençait la révolution russe. Coïncidence ou autre chose. Là aussi Alexandre Pierrepont répond… Il fera jaser à son tour
Un disque de jazz pulsé par la batterie et par les mots. Au fil des textes, montée en puissance du rythme et des mots, en quelque sorte le poids de la musique et le choc des mots. Essayer.
Nicolas Béniès.
« traités & accords », Denis Fournier, Alexandre Pierrepont, Vent du Sud, distribué par Les Allumés du Jazz. Rens. www.denisfournier.fr
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