Pierre Briant est un spécialiste de l’Histoire de l’Antiquité du temps d’Alexandre. Il défend l’histoire croisée et a consacré plusieurs ouvrages à Darius et à l’environnement géopolitique – comme on dirait aujourd’hui – du monde d’alors. Il cherche à comprendre, au-delà des individus aussi « grands » soient-ils, les transformations à l’œuvre.
« Alexandre » est le titre qu’il a choisi pour aborder non pas seulement le roi de Macédoine mais aussi – surtout – les figures, les images de cet Alexandre qui ne fut pas grand pour tout le monde. Ainsi s’explique son sous-titre « Exégèse des lieux communs ». Il nous fait voyager dans le temps et dans l’espace, du « Roman d’Alexandre » aux historiens d’aujourd’hui en passant par la période de la colonisation avec un Alexandre colonisateur intelligent, respectueux des populations tout en apportant la civilisation.
Les controverses durent encore aujourd’hui. Particulièrement dans le monde anglo-saxon. La statue d’Alexandre Le Grand n’en finit pas d’exercer son magistère. S’impose encore, dans le lieu commun, le grand général, stratège génial que l’on doit, nous dit l’auteur, à Bénoist-Méchin, nazi s’il en fut. Son idéologie a contaminé la figure d’Alexandre par celle de Hitler.
Le passage en revue des constructions d’Alexandre qui part de Rome pour arriver à nos jours sans oublier celles de l’Orient – les moins connues – donne le tournis. On subodorait qu’il y avait autant d’Alexandre que d’historiens mais on ne savait pas – pas à ce point – que romanciers, groupes de heavy metal – eux aussi!-, films hollywoodiens avaient participé au mythe. A chacun le sien, certains en ont même fait un tyran sanguinaire sur le modèle de tous les autocrates qui se sont succédé et lui ont fait perdre sa couronne de « Le Grand ». A la suite de Victor Hugo, ceux là auraient tendance à considérer Alexandre comme « Le Petit », titre du libelle contre Napoléon III.
Pierre Briant souligne en plus le « décalage entre le monde de la recherche et l’image véhiculée dans le grand public, qu’il soit « populaire » ou « cultivé ». Seuls, insiste-t-il, les catalogues d’exposition établissent un lien réel entre les chercheurs et les lecteurs… »
Il serait donc vain d’essayer de cerner le « vrai » Alexandre. Il faudrait plutôt répondre à quelques questions clés dont celles qui portent sur les changements opérés par la conquête de contrées qui avaient un gouvernement, une culture, une histoire et n’étaient pas peuplées par des « barbares ». Autrement dit, la démarche historique suppose de rompre avec l’européocentrisme qui valorise la civilisation hellène par rapport aux autres. L’histoire des Perses a autant droit de cité que celle des Macédoniens, des Grecs.
L’autre intérêt de cette revue des « Alexandre » est de donner une idée du Zeitgeist – l’esprit des temps, concept que l’on doit à Hegel – de chaque époque. L’histoire s’écrit souvent au présent. Le poids de l’environnement pèse aussi sur les historien-nes. Le « roman national » passe par une utilisation des histoires sans rapport avec l’Histoire. Il suffit d’écouter Fillon qui veut revenir à l’idéologie de la Nation.
Les « Alexandre » rendent compte des sociétés, de leurs mémoires et de la manière de s’en servir. Une autre histoire surgit, celle des représentations culturelles pour justifier idéologiquement un pouvoir quel qu’il soit. Les prolégomènes d’une histoire mondiale qu’il faudrait dresser au moment où nous vivons une période de « mondialisation des passés » pour éviter de laisser l’émotion prendre le dessus sur la méthode historique à base de documents.
Une grande leçon. A lire et à méditer. Soulignons le grand plaisir de lecture : les 569 pages ne pèsent pas, malgré quelques répétitions inhérentes au plan suivi par l’auteur.
Nicolas Béniès.
« Alexandre. Exégèse des lieux communs », Pierre Briant, Folio Histoire (inédit).
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