Istanbul à une période volontairement indéfinie, sans doute un futur proche.

Kadir, alors qu’il purge une peine de vingt ans de prison, se voit proposer une remise de peine à la condition qu’il accepte d’infiltrer les rangs de l’opposition et de servir d’indicateur auprès des instances policières.

Sitôt sorti de prison, il rend visite à son frère qui était encore un enfant au moment de son incarcération.

Celui-ci, que sa femme vient de quitter, est chargé par la municipalité de la ville d’abattre les chiens errants à proximité des décharges publiques.

Le climat politique violent dans lequel a sombré le pays déclenche chez les deux frères, à des niveaux différents, des obsessions paranoïaques et des cauchemars récurrents

Cinéma : Abluka
Cinéma : Abluka

Emir Alper a réalisé en 2012 «  Beyond the hill –Derrière la colline « , un film très remarqué dans la trentaine de festivals auxquels il a participé.

Si «  Derrière la colline  » se déroulait à la campagne dans un climat d’attente tendu, le récit d’ « Abluka » est imprégné de l’atmosphère oppressante des bidonvilles à la périphérie de la capitale avec, en arrière-plan, un chaos politique marqué par la présence d’un conflit guerrier.

La politique de l’État est mise à mal par la présence de terroristes cachés dans les bidonvilles et lorsque les techniques d’isolement de ces quartiers ne produit pas l’effet escompté, l’État a recours à de nouvelles méthodes répressives.

Le quartier où vivent les deux frères se trouve doublement isolé. Il l’est parce qu’il est bloqué par la police qui interdit ou contrôle de façon autoritaire les entrées et sorties, mais également parce que ce contexte tendu attise la paranoïa dans laquelle sombrent les personnages.

Isolés au plan psychologique, ils sont dans l’incapacité de savoir qui est ou qui pourrait être l’ennemi.

Et les petites gens que sont Kadir et son frère sont à la fois les instruments et les victimes de la violence du système. Que les méthodes violentes soient tournées en direction des chiens errants ou des terroristes, les deux frères, réduits à suivre les ordres, ne peuvent échapper aux effets suffocants de l’atmosphère politique répressive.

Le récit d’ «  Abluka  » fonctionne du point de vue de Kadir qui, passé par le filtre de longues années de prison, associe une sorte de candeur à une soumission aux ordres, ce qui l’empêchera jusqu’au moment du dénouement d’ouvrir les yeux sur les engagements politiques d’Ahmet et de cet autre frère dont il a totalement perdu la piste depuis des années et qu’il jette dans la gueule du loup en chargeant la police de retrouver sa trace.

Emir Alper dresse le portrait d’un monde fragilisé par les effets de la politique d’un régime totalitaire où l’on peut découvrir que derrière l’ennemi, se cache un ami que les circonstances masquent, tout autant que du jour au lendemain, celui qu’on considérait comme un ami sûr, a pu devenir un ennemi.

Son film rend compte de cette confusion et de la schizophrénie à laquelle les personnages sont acculés que ce soit pour leur survie ou pour faire aboutir leurs objectifs. La tension qui habite le récit et crée un constant sentiment de danger provient du flou et des atmosphères qui en résultent.

Face aux dilemmes auxquels sont confrontés les protagonistes d’ « Abluka » se pose la question qui risque de devenir réalité pour nous tous : comment faire face à la violence politique.

Le film d’Emin Alper situé dans un avenir proche a de sérieux airs d’actualité.

A voir.

Francis Dubois


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