Les bêtes arrivent dans la nuit. Elles sont parquées. Par quel instinct pourraient-elles être averties de ce qui les attend; qu’avant l’aube, un jeune homme va les guider vers la mort par d’étroits passages, et que, dans quelques heures, elles ne seront plus que des masses de viande suspendues par des esses, prêtes à l’équarrissage.
Lorsque les couloirs des abattoirs sont encore déserts, Boston, le chien de Virgile Hanrot, le bouvier, renifle-t-il l’odeur de la mort dont les parois sont imprégnées ? Son errance dans les lieux encore sombres qui seront dans un moment livrés à la bousculade des bêtes, à leurs meuglements affolés, à cette panique à lire dans les yeux, apparait d’autant plus vivante, allègre, qu’elle est en contraste avec les locaux glacés et glaçants…
Le titre du film qui évoque trois parties du corps dont le fonctionnement est essentiel à la vie, provient d’un poème de Pasolini (extrait de « la religion de notre temps « ) qui parle de sa jeunesse fervente quand il sillonnait la campagne et qu’il se donnait « gorge, cœur et ventre » à son sentiment religieux et à sa quête de l’amour universel.
C’est dans l’enfer d’un abattoir que Maud Alpi a choisi d’inventer ce voyage guidé par un personnage humain qui reste à la lisière – du film et de la société – et dont le film serait un portrait en creux, qui abandonne un moment sa liberté pour devenir le rouage d’une machine dévoratrice et infernale.
Dans les circonstances de toutes ces morts prochaines, le bêtes apparaissent comme des présences familières peut-être parce que la fatalité de ces derniers moments nous touche comme si elle nous renvoyait à nos propres souffrances passées ou à venir.
Le film s’est fait avec des « acteurs » dont on sait qu’ils vont mourir à la fin de la prise et c’est peut-être ce qui fait qu’ils apparaissent au bout du compte, dans l’urgence et l’éphémère, comme des personnages et échappent dès la première vision à une « interchangeabilité » pour devenir à chaque fois, uniques et repérables.
Même s’il accompagne les bêtes dans les couloirs de la mort, même si une image montre les derniers soubresauts de l’animal qu’on vient d’abattre, « Gorge, cœur, ventre » n’est pas un documentaire sur des abattoirs. C’est au contraire, une sorte de poème visuel mêlant des séquences réalistes à des apparitions, des visions oniriques comme ce moment où l’on assiste à l’égarement affolé d’un agneau dans un décor glacé, chirurgical, surréaliste, étranger au récit.
Virgil Hanrot n’a jamais été bouvier et Boston, son chien, n’a connu les abattoirs que pour les besoins du film. Ils ont été, l’un et l’autre, choisis à la suite d’un casting et cette précision est nécessaire pour ajouter au mystère de ce film qui va toujours là où on ne l’attendait pas, qui surprend, enchante et bouleverse tout à la fois.
Francis Dubois
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