Qui sont ces jeunes gens de conditions sociales contrastées, allant de la grande bourgeoise parisienne au prolétariat banlieusard et qui, séparément le plus souvent, effectuent d’intrigantes déambulations dans le métro ou dans les rues de Paris.
D’évidence ils obéissent à un plan dans lequel ils sont tous impliqués et commettent sur leur chemin des actes qui confirment à chaque fois qu’ils ont un même projet.
Pourtant, quel rapport peut-il y avoir entre un fils de famille élève à Sciences-Po, qui rend visite au ministre de l’intérieur, ami de son père, le portier d’un grand hôtel parisien ou cette jeune maghrébine maladroite qui, au sommet d’une grue, nettoie la statue de Jeanne d’Arc.
Il faudra les retrouver ensemble réunis pour comprendre qu’ils appartiennent à une organisation clandestine préparant à la chaîne des attentats spectaculaires visant des lieux symboliques de la capitale.
Bertrand Bonello est un metteur en scène virtuose. Sa caméra est magnifique pour filmer Paris, ses rues, le métro, ses quais, ses escalators, ses rames et leurs usagers et pour tenir en haleine en distillant de minces indices.
La première partie de « Nocturama » est une parfaite chorégraphie narrative d’une grande fluidité qui nous partage entre le témoignage d’un documentaire et le désir grandissant d’en savoir plus sur les protagonistes, sur les liens qui le relient et sur leur objectif commun.
D’entrée, Bertrand Bonello tire son film du côté du cinéma de genre en s’intéressant, concernant les agissements de ses personnages, plus à la question du « comment » qu’à celle du « pourquoi ».
Le cinéaste refuse de se substituer à un travail de journaliste, de sociologue ou d’historien et le spectateur ne sera jamais renseigné sur les motivations profondes de cette dizaine de jeunes gens pourtant déterminés à en découdre et qui vont commettre une série d’assassinats et d’attentats spectaculaires savamment orchestrés.
Il ne donnera à cette question qu’une maigre et vague réponse en faisant dire à une jeune observatrice des événements, de la catégorie du badaud ordinaire : » Ça devait arriver ».
L’organisation sans faille de plusieurs attentats simultanés, le maniement des armes, le maniement d’explosifs peuvent-ils être le fait de très jeunes gens dont rien ne dit qu’ils soient animés par leur conscience politique ?
On s’interroge d’autant plus que dans la seconde partie du film, lorsqu’après après avoir accompli avec succès leurs terribles missions, les jeunes gens réunis pour la nuit dans un grand magasin parisien retrouvent l’inconscience de leur âge.
Ces grands adolescents qui ont fait voler en éclats une aile du ministère de l’intérieur, fait exploser des voitures place de la Bourse, fait brûler la statue de Jeanne d’Arc, commis froidement des assassinats, se retrouvent dans le grand magasin comme dans une aire de jeu dont ils utilisent toutes les possibilités offertes avec une spontanéité toute puérile.
Bertrand Bonello a commencé à écrire le scénario de « Nocturama » (alors intitulé « Paris est une fête « ) il y a cinq ans. Les tristes événements qui depuis ont secoué le pays ne laissent plus au film que la possibilité d’être hors du temps, la peinture d’une jeune génération désœuvrée qui se révolte contre une société dont ils ressentent la menace.
Il reste néanmoins que « Nocturama » est un film magnifique, un magnifique exercice cinématographique et qu’on y trouve de jeunes comédiens (dont pour certains, c’est la première apparition à l’écran) très convaincants.
Francis Dubois
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