Insiang vit avec sa mère, la redoutable Tonya, dans un bidonville de Manille.
Malgré l’exigüité de l’habitation, Tonya héberge la famille de son mari qui a délaissé les siens pour fuir avec sa maîtresse.
Insiang fait l’impossible pour affronter les difficultés quotidiennes dans ce quartier livré au chômage, à l’alcoolisme, à la délinquance et au machisme exprimé par les hommes désœuvrés.
Elle ne cesse de relancer son petit ami pour qu’il l’épouse et qu’elle puisse enfin quitter ce quartier de misère.
Un jour, Tonya qui a ramené chez elle son jeune amant Dado, le caïd du quartier, décide de renvoyer sa belle famille.
Mais le jeune amant ne tarde pas à être attiré par le charme de sa nouvelle belle-fille….
Lino Brocka réalisa « Insiang » en 1977 et son film fut la première production du cinéma philippin à être présenté à Cannes dans la section « Quinzaine des réalisateurs » en 1978.
« Insiang » est à la fois un portrait de femme bouleversant aux prises avec son milieu, une plongée dans les bas-quartiers de Manille et une œuvre qui affronte la terrible réalité d’un pays.
Il fut à l’époque l’occasion de découvrir une immense réalisateur, l’existence du cinéma philippin et d’en apprendre un peu plus sur le pays dont on savait peu de choses, sinon qu’il était sous le joug de la dictature du Président Marcos.
Le film qui renvoie au cinéma de Kurosawa (celui de « Bas-fonds » et de « Dodes’Kade n ») pour la peinture des quartiers pauvres et malfamés ou à celui du Luis Bunuel de « Los olvidados « , est une œuvre personnelle qui traite le réalisme social sans se démarquer d’une certaine dimension poétique.
La scène d’ouverture avec l’abattage des cochons qui est ultra-réaliste peut se lire comme une métaphore du bidonville, sorte de monstre, produit direct de la misère profonde, qui détruit ses habitants.
« Insiang » est un film sur les rapports de domination où les personnages réagissent toujours par l’affrontement ou par le désir de vengeance
Il est aussi l’histoire immorale de deux femmes, mère et fille, qui se partagent le même homme et il est surtout, passé par la caméra de Lino Brocka et un sens profond de la mise en scène, le dépassement des limites du sujet pour dénoncer la misère et ses conséquences, les injustices sociales au sein d’un régime dictatorial et ses répercussions, dans les circonstances, sur le comportement de l’être humain…
Lino Brocka, artiste engagé qui refusait la langue de bois, a osé affronter le pouvoir en abordant dans son œuvre des sujets sociétaux très forts tels que la pauvreté, l’homosexualité ou la condition des marginaux en général. (Pour l’audace de son propos, il a même connu la prison)
Grâce à son œuvre qui alterne films « commerciaux » pour toucher un public populaire et réalisations ambitieuses politiquement et esthétiquement, le cinéaste souhaitait élever le niveau du cinéma national tout en éveillant les consciences de ses concitoyens.
« Insiang » qui fut tourné en onze jours est marqué par une mise en scène survoltée, une galerie de personnages enflammés et une bande-son qui augmente le sentiment d’étouffement.
Les films de Lino Brocka, ont permis de découvrir à l’époque, tout un pan méconnu du cinéma asiatique.
Le cinéaste disparu en 1991 à 52 ans, est considéré aujourd’hui comme un véritable héros national en son pays, un artiste qui a contribué à sa façon à la chute de la dictature Marcos.
Présenté dans sa superbe version restaurée,, « Insiang » est une œuvre puissante et essentielle à découvrir
Francis Dubois
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
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