La thèse de Saskia Sassen, sociologue spécialisée dans l’analyse de la « ville globale », dans « Expulsions », se résume facilement. Les années 1980 ont vu se dessiner une nouvelle forme du capitalisme dominé par l’idéologie libérale, un régime d’accumulation à dominante financière pour employer le langage des économistes de l’école de la régulation, langage que la sociologue n’utilise pas. Elle est consciente que les critères de la finance se sont imposés pour régler les orientations de l’économie dans toutes ses facettes.
Cette forme a combiné – elle en fait la démonstration – une complexité de plus en plus sophistiquée aux montages inextricables (comme le montrent une fois encore les « panama papers ») et une brutalité extrême. La combinatoire s’explique par la nécessité pour tous les capitalistes d’extraire le profit maximum – et non plus optimum comme dans la période des « 30 glorieuses » – et à court terme, dans les deux mois. La conséquence la plus importante, pour elle, des expulsions dans tous les domaines se traduisant par un rétrécissement de la base économique. Une idée à creuser. Elle signifie que, contrairement aux « 30 glorieuses », les politiques actuelles d’austérité ne se posent plus la question de la demande pour faire face à la surproduction mais privilégient l’entreprise et même la grande entreprise et ses profits pour qu’elle soit compétitive. L’avenir apparaît, de ce fait, semblable au passé et bloque toute possibilité de construire un futur.
Pour mener sa démonstration, elle analyse les « cas extrêmes ». La Grèce pour la crise financière et économique, les extractions d’hydrocarbures de schistes pour mettre à jour la profondeur de la crise écologique ainsi que les mutations climatiques. Elle justifie cette orientation en faisant l’hypothèse – pas totalement démontrée mais intuitivement juste – que ces cas limites du présent seront la règle pour l’avenir. « De te fabula narratur », ces exemples racontent notre avenir fait de régressions sociales, de désindustrialisations, de perte de richesses potentielles et d’expulsions.
Elle partage sa démonstration en deux grands chapitres. Le premier sur la crise financière et économique qui touche des économies déclinantes – Sassen centre ses analyses sur les pays capitalistes développés – dans lesquelles les expulsions sont croissantes et où les terres font l’objet d’un marché global. « La crise comme logique systémique » en est la conclusion pour démontrer que la « crise financière » actuelle touche aussi les institutions politiques, les populations amenant leur cortège de misères, de pauvreté et d’appauvrissement et sème leurs effets de destructions de secteurs entiers de l’économie. Les politiques d’ajustement structurel, les « réformes structurelles » censées répondre à la profondeur de la crise financière ne font que l’aggraver, facteur aussi de récession et de suppressions d’emplois.
Le projet de loi dit « El Khomri » ou « sur le travail » est sûrement jugé par la sociologue comme un élément aggravant la crise économique et sociale plutôt qu’une solution.
Le deuxième chapitre porte sur la biosphère. Un titre qui dit bien les dangers et les risques de notre actualité la plus brûlante : « Terre morte, eau morte ». Elle met en cause toutes les politiques industrielles insouciantes des conséquences sur l’environnement. La terre est gratuite et elle peut générer un profit maximum. Se retrouve ici ce critère essentiel qui conduit notre monde à sa perte. Ce contexte planétaire devrait susciter des réactions au même niveau. Malgré la COP 21, les gouvernements restent souvent enfermées dans le cadre de l’État-nation sans trouver réellement les moyens d’une concertation indispensable. Elle conteste les solutions s’appuyant sur les modalités de la finance, par exemple les « droits d’émission de carbone ». Les fraudes y sont multiples d’une part, d’autre part ces marchés permettent aux plus riches de continuer à polluer. Ce marché est représentatif, faut-il ajouter, de l’évanouissement des valeurs collectives et d’éthique sur lesquelles devrait reposer toute société.
Depuis l’ouverture de la crise systémique en août 2007, le rétrécissement de la vision, du regard est sensible. Le discours sur la mondialisation semble oublié pour se rétracter sur le seul État-nation chargé de toutes les solutions. Pourtant l’économie globale reste une réalité prégnante…
Elle conclut sur les tendances en cours qui vont « du renforcement de la puissance de l’entreprise globale à l’affaiblissement de la démocratie locale » façonnées par une « dynamique très élémentaire, faite de recherche du profit sans contraintes et d’indifférence à l’égard de l’environnement. » Il faut insister sur le terme « tendance ». Elle met en garde, « le pire est toujours sûr » dit-elle, il est nécessaire de réagir, de construire des politiques qui répondent à ces possibilités. La démocratie est en danger du fait même de la profonde crise politique existante, une crise qui répond à l’absence de futur. Elle n’insiste pas assez sur cette donnée essentielle.
Il est un reproche qu’il faut lui faire. Toute à sa thèse, synthétisée dans le sous titre : « Brutalité et complexité dans l’économie globale », elle a tendance à se répéter sans, pour autant, proposer de nouvelles dimensions. Dommage pour sa démonstration qui aurait gagné à être plus courte.
Nicolas Béniès.
« Expulsions ». Brutalité et complexité dans l’économie globale », Saskia Sassen, traduit par Pierre Guglielmina, nrf essais/Gallimard, 371 p., Paris, 2016, 25 euros.
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