Les « feuilles mortes » disparaissent de notre paysage. Les « Sons d’hiver » et autres festivals de cette saison se sont terminés. Une saison étrange, sans neige, avec une chaleur étrange qui ne fait plus douter de l’existence du réchauffement climatique.
Le calendrier nous oblige à passer au printemps sans que le temps – celui qu’il fait – le fasse réellement sentir. L’impression est quelque fois inverse. Comme un retour en arrière. Comme si après le faux hiver, le vrai voulait se faire sentir. Le jazz s’en fout.
Il fête le printemps via les festivals. Il accueille, entre autres, « Europa djazz » pour sa 37e édition et « Jazz sous les Pommiers », pour sa 35e. Un peu avant, « Banlieues Bleues » continue à organiser les rencontres entre les jazz et les publics
2016, année qui nous aura fait travailler un jour de plus, fête l’Ascension beaucoup plus tôt que l’an dernier. Comme si l’appel vers les cieux était, d’un coup, plus urgent. Mettre ce jeudi encore férié début mai – le 5 – a obligé Denis Lebas et l’ensemble des organisateur(e)s de « Jazz sous les Pommiers » à commencer le 30 avril.
« Europa djazz » démarre de bonne heure et arrive tout de même derrière « Jazz Sous les Pommiers »…
L’ « Europa djazz, » le festival du Mans, débute le 8 mars. Par des actions culturelles. D’abord dans les lycées (du 8 au 25 mars) puis dans les collèges (du 25 au 29 avril) pour sensibiliser nos élèves au jazz, une orientation partagée par la plupart des festivals. Bernard Lubat sera l’invité du « Régional Tour » et, dans les grands rendez-vous du printemps, se tiendront plusieurs « Nuit », de la salsa, du jazz manouche, des fanfares. Pour les groupes, mention spéciale à celui de Francesco Bearzatti, « Tinissima quartet », qui jouera les thèmes de son dernier album – Cam Jazz distribué par Harmonia Mundi –, « This Machine Kills Fascists », une sorte d’hommage à Woody Guthrie revu et corrigé par notre actualité et la montée de tous les fascismes dans le monde d’aujourd’hui. Comme d’habitude, une énergie farouche et une ironie de tous les instants. Il faut écouter Bearzatti.
Michel Portal fait la nique au calendrier, au temps qui passe. Il sera en duo avec Émile Parisien, saxophoniste.
Céline Bonacina, saxophone baryton et soprano, sera en compagnie du Mégapulse orchestra – elle sera aussi à Coutances un peu avant, le 30 avril pour l’ouverture – pour faire la preuve de sa capacité à faire pulser sa musique et à faire rugir le public. Son dernier album, « Crystal Rain » – Cristal Records, distribué par Harmonia Mundi – marque une nouvelle direction avec l’adjonction du pianiste britannique Gwilym Simcock. Céline, qui s’inspire de Hamiet Bluiett, pratique une musique qui draine tous les styles du jazz et d’ailleurs y compris celle de l’île de la Réunion.
Pour les concerts à L’Abbaye de l’Epau (du 18 au 21 mai), Émile Parisien, encore lui, sera l’invité du Joachim Kühn quintet, Gary Peacok et son trio – un superbe dernier album chez ECM -, un festival de violons dans le festival, Dominique Pifarély, en duo avec le violoncelliste Vincent Courtois, Régis Huby et la révélation de l’an dernier, Théo Ceccaldi, violoniste de fusion entre toutes les musiques, de la contemporaine au jazz, des comptines aux compositions les plus complexes. Sans oublier les créations dont celle de Stephan Oliva, pianiste, avec Tom Rainey. Vraisemblablement un grand moment. Stephan est ouvert à toutes les expériences. Tom Rainey fait partie de cette cohorte de musiciens qui veut nouer les fils du passé et de l’avenir. Et un passé qui peut-être lointain. Comme Bill Carrothers, il remonte à la guerre de Sécession (1861-1865), date de création des États-Unis comme État fédéral.
Les musiciennes présentes Jazz Sous les Pommiers
Coutances fait cette année la part belle aux musiciennes. A commencer par la saxophoniste alto Géraldine Laurent. Son dernier album, « At Work » – Gazeto/L’Autre Distribution – fait la démonstration qu’elle est celle par qui le renouveau du jazz arrive. Il ne faut rater ni ses concerts ni ses albums. Airelle Besson, trompettiste en résidence, participera à des créations dont un hommage à Boris Vian et une rencontre avec l’Orchestre Régional de Normandie et Youn Sun Nah. La chanteuse, nouvelle arrivée sur la scène, Sarah McKenzie qu’il faudra découvrir sur scène, Leyla McCalla, violoncelliste et Betty LaVette, chanteuse de la soul music éternelle qui effectue son retour comme le raconte le numéro de Soul Bag de ce trimestre. Il faudra donc aller la découvrir sur scène. C’est une invitée d’importance.
Les vedettes masculines, Chris Potter, Archie Shepp avec les frères Belmondo, Taj Mahal, Charles Lloyd, les fanfares le dimanche après les manifestations du 1er mai, La famille Texier, le fils d’abord Sébastien, clarinettiste et saxophoniste alto et Henri, contrebassiste « Sky Dancer » – titre de son dernier album -, Edward Perraud, batteur fou et intransigeant…
Je donnerai une conférence le vendredi 6 mai aux Unelles, à 15h30, sur « Le jazz au temps du Front Populaire », le temps de l’espoir, de la libération par la danse au son de l’accordéon – un accordéon souvent swing même s’il reste musette – ou des orchestres swing. On chante « Tout va très bien Madame la Marquise » avec l’orchestre de Ray Ventura, un thème qui va comme un gant à François Hollande… Une musique qui fait la démonstration de l’existence d’un jazz en France. Les amours du jazz et de la France donneront naissance au seul génie européen de cette musique, Django Reinhardt. Un deuxième génie, moins connu, le violoniste Michel Warlop (voir, « Le souffle de la liberté », Nicolas Béniès, C&F éditions) sera aussi au rendez-vous.
Coutances devient une des grandes villes du jazz pendant cette semaine de l’Ascension. Les concerts gratuits sur la place de la Cathédrale font aussi partie de l’habitude, comme les animations, la course et beaucoup d’autres choses encore. Le soleil sera aussi de la partie. Il ne peut rater la rencontre avec le jazz qui lui donnera encore plus d’éclat. Les élèves des écoles seront aussi de cette « party » pour découvrir ces musiques trop peu entendues sur nos ondes et qui ont totalement disparues des chaînes de télé. A quoi sert de recevoir la TNT si, au moins une chaîne gratuite ne diffuse du jazz ? Notre époque est curieuse. Les festivals de jazz font, souvent – et heureusement – le plein de spectateurs mais le jazz reste l’enfant pauvre des diffusions et explications. Il reste, bien sur, les radios dites libres ou associatives – je réalise des émissions sur Radio Bazarnaom, à écouter sur le site de la radio – mais c’est très insuffisant.
Les festivals proposent, chacun de leur côté, un panorama du jazz d’aujourd’hui. Il manque, pour le moment, le saxophoniste dont on parle aux États-Unis, Kamasi Washington… Ce sera pour 2017…
Nicolas Béniès.
Rens. www.europajazz et www.jazzsouslespommiers.com
CD sous revue :
« This Machine Kills Fascists », Francesco Bearzatti, « Tinissima quartet », Cam Jazz distribué par Harmonia Mundi. Comme d’habitude, un souffle, une énergie qui renverse tous les codes. Le free jazz, chez lui, sert le propos. Sortir de toutes les routines pour bousculer l’auditeur, le faire réfléchir et… danser.
« Crystal Rain », Céline Bonacina, Cristal Records, distribué par Harmonia Mundi. Un quartet de nationalités différentes pour créer une musique de toutes les cultures et, malgré tout, originale. Le cristal de roche (crystal rain) est, suivant ce qu’elle dit, un facteur d’équilibre. Le jazz, lui s ‘épand dans les déséquilibres. Céline sait aussi en jouer.
« At Work », Géraldine Laurent, Gazeto/L’Autre Distribution. Avec Paul Lay au piano, Yoni Zelnik à la contrebasse et Donald Kontomanou à la batterie, elle continue à faire la preuve qu’elle est une des musicienne qui compte. Un alto qui doit beaucoup, malgré ses dires, à Ornette Coleman, au découpage du temps de Rollins – qu’elle dit avoir beaucoup écouté – et comme tout le monde au génie coltranien.
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu