Ils sont une bonne vingtaine d’artistes d’une troupe de théâtre ambulant. Ils vont de ville en ville dans des roulottes, dressent et démontent à chaque fois le chapiteau.
Ce sont des ogres, des géants. Ils ont dévoré du théâtre, des textes et avalé des milliers de kilomètres.
Mais dans cet univers aussi enthousiaste que fragile et vulnérable, la prochaine naissance d’un bébé et les retrouvailles avec une ancienne amante vont raviver les blessures que chacun croyait enfouies.
Léa Fehner connait la chanson. Elle a grandi au sein d’un théâtre itinérant que dirigeait son père au début des années 90, au milieu d’une troupe bigarrée et fantasque.
Si elle a, plutôt que d’assurer la relève, choisi de faire des films, c’est parce que, selon ses propres dires, elle « avait la trouille des parades dans des rues vides, la trouille de la truculence d’une vie où, pour parler au spectateur, tu lui postillonnes dessus, où les enfants sont au courant de la moindre histoire de fesse, où tu grandis au milieu des cris, du théâtre et des ivrognes.. »
Mais, elle est récemment revenue sur cette vision négative et tout s’est inversé. Là où elle ne voyait que galères, elle s’est mise à voir du courage et la proximité avec le spectateur lui a fait envie.
Elle a tout à coup eu le désir de faire sur le sujet, un film solaire, joyeux et âpre, de filmer ces hommes et ces femmes qui abolissent les frontières entre le théâtre et la vie pour vivre un peu plus fort, un peu plus vite.
Et c’est cet appétit de vivre éclatant et puissant qui caractérise les personnages qui a donné son titre au film car ces ogres de vie sont, en dépit de leur générosité, capables de prendre toute la place et d’être dévorants jusque dans l’amour.
Dans ce milieu si singulier, toutes les générations se mélangent. Les enfants constituent une meute sauvage et libre, les jeunes adultes se débattent dans leur désir de responsabilité, les pères prennent toute la place et les mères sont tout à la fois sublimes et soumises.
Ici, ce n’est pas une famille de sang mais une famille choisie avec qui on travaille avec à la base, un esprit de troupe qui dépasse le cadre de la famille, qui pose la question de l’amour plus largement.
« Les ogres » aurait pu n’être qu’une chronique, le portrait d’un milieu singulier, un documentaire sur les troupes de théâtre nomades. C’est au contraire une fresque épique où le romanesque apporte tout son souffle au film.
Et si habituellement, baroque et justesse s’opposent, le film de Léa Fehner prouve que les deux peuvent se mêler pour dénicher la sincérité de ceux qui jouent le jeu, la douceur de ceux qui hurlent, l’amour de ceux qui se déchirent.
Le défi du film était de faire coexister le collectif et l’individu. Certaines séquences sont une sorte de mille-feuille d’action avec, au premier plan une ligne dramatique alors qu’au second plan de l’image, une histoire est en train de débuter, et qu’au fond de l’image chacun intervient dans les deux autres.
La mise en scène de Léa Fenher n’avait pas le choix, elle devait être virtuose, brutale et douce, généreuse et frustrante mais ample, traiter le collectif mais ne négliger aucun des personnages secondaires et même quand ils sont silencieux, leur donner l’épaisseur d’une présence nécessaire
à l’ensemble, une importance sans quoi le récit serait bancal.
La fresque est forte et frémissante…
Un beau film ample et généreux
Francis Dubois
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