Chantal Akerman n’avait pas tourné depuis « La folie Almayer » sorti en 2012 mais cette boulimique de la pellicule n’était pas pour autant restée inactive.
Depuis des années, elle filmait un peu partout, dès qu’elle « sentait » un plan, sans but précis, sachant pourtant qu’un jour, ces images qu’elle emmagasinait trouveraient leur place soit dans un film soit pour édifier une installation.
Ni projet conscient, ni scénario ne la guidaient.
Avant de faire l’objet d’un film, ces images ont d’abord donné lieu à trois créations itinérantes qui ont beaucoup voyagé.
Un jour, le fruit a paru mûr et avec Claire Atherton, sa monteuse, elles se sont retrouvées devant une vingtaine d’heures d’images et de sons. Elles se sont mises à la recherche d’une structure plus que d’un fil conducteur.
La matière était là et il fallait la sculpter.
Les vingt heures d’images et de sons sont devenues huit, puis 6. Au bout d’un laps de temps, il n’en est plus resté que deux.
Et c’est alors que le film est apparu à la réalisatrice et à sa monteuse comme une évidence.
Chantal Akerman déclarait à propos de « No home movie », que si elle l’avait prémédité, elle n’aurait jamais réalisé ce film.
Qu’elle aurait eu trop peur de faire un film qui repose essentiellement sur les derniers mois de vie de sa mère. Depuis le début du déclin à peine perceptible jusqu’aux moments qui ont précédé l’agonie.
Les derniers moments de cette femme arrivée en 1938 en Belgique fuyant le Pologne, les pogroms et les exactions, qu’elle va passer sans en sortir dorénavant, dans un vaste appartement bruxellois.
« No home movie » relate le quotidien au ralenti d’une femme que la maladie a déjà saisie et que la mort guette, dont le déroulement des journées est rythmé par les visites de ses deux filles quand elles sont de passage à Bruxelles ou d’échanges par skype bourrés de signes et d’expression de tendresse.
« No home movie » est un film sur le temps qui passe et sur les bruits du quotidien quand le silence lié à la solitude les révèle ; quand leur perception plus ou moins fine devient une sorte de baromètre sur l’état d’une habitation et de ses occupants.
C’est un film d’amour, un film sur la perte, parfois drôle, parfois terrible mais avec une juste distance. Un film où s’opère avec infiniment de pudeur, à pas feutrés, sans pathos, une transmission.
Un film qui vagabonde en sourdine, s’évade parfois dans de grands espaces désertiques mais dont on devine très tôt la destination finale.
La mort de la mère n’est pas montrée. Un rideau qu’on tire, une pièce tout à coup plongée dans la pénombre et livrée au silence suffisent.
Le film s’ouvre sur un long plan fixe qui montre un arbre malmené par un vent violent. Le temps est interminable tant que le bruit le soutient, le garde en vie.
La photographie est contrastée, les atmosphères; des couleurs vives viennent en contrepoint aux ocres de paysages désertiques.
A l’absence difficile succèdent les moments d’échange et de présence chaleureuse, à un petit déjeuner copieux avalé avec appétit, le refus de toute nourriture.
A la réduction des distances grâce aux technologies modernes, la réalité de l’éloignement et de la solitude.
« Le film avance à petits pas comme on entre dans l’appartement de Bruxelles où une femme marche avec la grâce fragile de celle qui doit garder un équilibre précaire » disait de « No home movie », Chantal Akerman.
Un film crépusculaire.
« No home movie » allait être sa dernière réalisation. Chantal Akerman disparaissait peu de temps après le Festival de Locarno où son film figurait dans la sélection officielle, en octobre 2015.
Francis Dubois
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