Chen est médecin dans une petite clinique de Kaili, une ville humide et brumeuse de la province subtropicale du Guizhou. Il est secondé dans sa tâche par une vieille doctoresse.
Chen a perdu sa femme pendant la période où il était emprisonné pour avoir appartenu aux Triades, une société secrète déclarée hors la loi.
Il s’occupe de son jeune neveu, Weiwei qu’il aimerait adopter pour lui donner l’éducation qu’est loin de lui apporter un père inconsistant et joueur.
Lorsqu’il apprend que son frère a vendu Weiwei, il décide de partir à sa recherche.
A un moment donné de son voyage, il traverse un village étrange, Dangmai, où les heures semblent échapper à la règle du temps.
Là, il retrouve les fantômes de son passé et il est mis face à son futur.
Ce monde auquel il s’intègre est-il le produit de sa mémoire ou appartient-il aux domaines du rêve et du fantasme ?
Avec la réalisation de « Kaili Blues « , Bi Gan, jeune réalisateur et poète chinois, tente de trouver une réponse à une pensée qu’il avait retenue de sa lecture du « Sutra du diamant » :
« L’esprit passé est inatteignable, l’esprit présent est inatteignable et l’esprit futur est inatteignable »
« Kaili Blues » est un film déroutant, énigmatique, une sorte de labyrinthe narratif qui, plutôt que de lever progressivement le mystère sur un récit morcelé, débouche sans cesse sur de nouvelles interrogations.
Selon ses propres propos, Bi Gan tente de « fa ire de la réalité, un rêve et de traiter du rêve comme une réalité ».
La continuité de « Kaili Blues » n’est pas linéaire. Certaines séquences intercalées semblent appartenir au présent de la narration mais elles sont en réalité, des flash-back. Et quand on croit être dans la passé, une incertitude apparaît, quant à leur antériorité.
Comme chez Tarkovski, le film regorge de détails à la fois intenses et déroutants qui vont au-delà de toute explication rationnelle.
La frontière entre la vie et la mémoire est constamment brouillée et des lambeaux de rêves viennent sans cesse s’inscrire dans le récit de manière réaliste.
La poésie du film repose sur des éléments qui ne sont pas censés conduire au lyrisme. Les atmosphères dégagent beaucoup d’étrangeté avec des personnages échappant à une identification précise, des situations énigmatiques alors qu’elles pourraient paraître limpides, un décor humide et boueux, des séquences où apparaissent des détails et objets récurrents, des éléments qui opposent une résistance à des personnages qui pourraient presqu’être interchangeables.
Malgré, mais peut-être grâce à un « brouillage de pistes », à un « détricotage » de la temporalité où se mêlent passé, présent, futur, rêve et réalité, le film de Bi Gan, envoûte.
Film réaliste ou œuvre lyrique. Le choix reviendra au spectateur qui dispose de tous les éléments pour construire sa propre histoire…
Francis Dubois
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