Après des années d’absence, Alfonso revient au pays pour se porter au chevet de son fils malade.
Dans la maison qu’il partageait autrefois avec sa femme dont il s’est séparé, il retrouve celle-ci qui s’accommode mal de sa présence sous son toit, son fils d’une quarantaine d’années qui souffre d’une maladie pulmonaire et ne quitte pas son lit, sa bru et son petit-fils de six ans.
Dorénavant, autour de la modeste maison familiale, plus trace des orangers d’autrefois.
Les vergers ont cédé la place à d’immenses plantations de cannes à sucre dont l’exploitation provoque d’incessantes pluies de cendres.
Pendant que son ex-femme et sa belle-fille travaillent dur dans les plantations pour gagner l’argent nécessaire au modeste quotidien de la famille, Alfonso va tenter de retrouver dans la maison, la place qu’il occupait autrefois…
César Acevedo est originaire de la vallée de Cauca en Colombie, une région dont l’économie dépend essentiellement de l’industrie sucrière et c’est cette région qu’il a choisie pour être le décor de son film et pour parler d’un peuple de paysans anéantis par une vision paradoxale du progrès mais restés, en dépit des changements, profondément attachés à leur terre.
Le sujet qu’il traite fait partie de sa propre histoire puisqu’il est lié à la vie de sa famille.
La trop grande proximité du scénario avec son histoire a longtemps représenté une difficulté à l’écriture du récit et à l’autonomie des personnages qui souffraient de la constante référence au passé du cinéaste et de sa famille.
« La terre et l’ombre » s’articule autour d’un drame familial et les personnages, en dépit de leur absence de communication, évoluent dans une unité de temps et d’espace.
Les sentiments qui les lient tous les uns aux autres ne s’ébruitent pas mais ils existent dans des étreintes, dans des frôlements des corps, dans des attentions ou des regards.
Seuls le grand-père et son petit-fils échangent verbalement et la relation qui les unit tourne beaucoup autour de la nature et principalement des oiseaux que l’aïeul sait distinguer à partir de leurs chants et qu’il sait imiter.
Le rythme du film est calqué sur l’état émotionnel des personnages et sur l’évolution de leurs sentiments.
Le début du récit est marqué par leur isolement, la distance qui les sépare, la pudeur de leurs rapports et le malaise qui se dégage de la difficulté de la promiscuité retrouvée.
Des plans-séquences, parfois fixes, permettent de rendre palpable l’enfermement des personnages dans l’espace, dans la répétitivité qui rythme le quotidien, dans les limites d’un espace à la fois physique et émotionnel.
La succession des plans dans leur construction permet d’exprimer le passage du temps et, au spectateur, de ressentir au-delà de ce qui apparait sur l’écran et sans se limiter à ce qui est représenté, visible.
Le rythme est parfois ralenti, oppressant, parfois jusqu’à l’inconfort. Mais, au fur et à mesure, que l’histoire progresse et que les personnages améliorent les liens qui les unissent, la caméra prend ses distances. Le rythme et les situations s’écoulent dès lors, de façon plus organique.
Le drame familial se déroule avec, en toile de fond les problèmes sociaux liés à l’expansion envahissante de l’industrie sucrière et ce qui en découle : paysages défigurés, épuisement des sols, petits paysans réduits à la faillite, pauvreté, maladie, difficulté de déplacements des populations.
« La terre et l’ombre » a obtenu la Caméra d’Or au dernier festival de Cannes. Une distinction largement méritée pour ce film au déroulement à la fois frontal et sinueux.
Francis Dubois
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu