Dernière pièce écrite par Bernard-Marie Koltès, un an avant sa mort, alors qu’il se savait condamné, Roberto Zucco est une pièce dérangeante. Inspirée par un fait divers, portant, à une lettre près, le véritable nom du meurtrier, elle avait été interdite à Chambéry, où un policier avait été assassiné par Roberto Zucco et Patrice Chéreau n’avait pas souhaité la monter, ce qu’il a ensuite regretté. Les déclarations de Koltès n‘avaient rien arrangé. Il avait parlé d’un garçon à « la beauté fabuleuse » et ajouté « tout ce qu’il a fait est d’une beauté incroyable ». Koltès a été fasciné par ce garçon qui, après avoir tué à quinze ans son père et sa mère, avait entrepris des études après sa libération de l’hôpital psychiatrique, avant de replonger brutalement dans la violence, tuant six personnes en un mois, et de se suicider lors de son arrestation après deux mois de cavale. Koltès voyait en lui « un tueur exemplaire ». C’est un homme qui déraille, sa violence ne peut être canalisée et il ne sait pas pourquoi il a tué. Koltès en fait un héros tragique, d’une beauté renversante, qui bouleverse ceux qu’ils croisent, la Gamine, la Dame élégante. Sans le vouloir, il fait dérailler le système et en révèle les failles. Au passage, Koltès déglingue la famille, celle de la Gamine, variété lumpenprolétariat – avec le père s’enfilant des bières à longueur de jour, la mère dépassée, la sœur aigrie et le frère préposé à la surveillance du pucelage de sa petite sœur – mais aussi la famille, version bourgeoise, de la Dame élégante.

Théâtre : Roberto Zucco
Théâtre : Roberto Zucco

Richard Brunel nous plonge dès le début dans un univers très noir, murs gris sombre, coursives métalliques d’où nous parviennent les voix angoissées de deux hommes qui crient pour cacher leur peur et brandissent des torches qui éblouissent les spectateurs transportés brutalement dans l’univers de la prison. Cet espace qui offre deux plans superposés deviendra chambre des parents avec un lit dans un coin, appartement de la Gamine dans l’autre, avec une table où la famille se retrouve pour manger, mais sous laquelle se passent aussi des choses. L’espace central devient le quartier chaud, le métro, le square. Le metteur en scène passe avec fluidité d’un espace à l’autre, on prend des scènes en cours de route, elles s’interrompent, reprennent en une sorte de montage cinématographique. Beaucoup de monde est souvent sur scène en même temps et la foule y devient un témoin violent et stupide. Seul Zucco a un nom, qui s’affiche en lettres énormes tandis que sa photo se multiplie sur le mur du fond. Roberto Zucco, c’est Pio Marmaï, beau, musclé, opaque. Il y a en lui parfois une certaine innocence puis, sans qu’on s’y attende, il sombre dans une violence incontrôlable. Luce Mouchel est aussi remarquable en femme chic et désespérée par la bêtise du monde et le vide de sa vie. Tous deux épousent à merveille l’ambiguïté de leur personnage, qui garde sa part de mystère. Tous deux et toute la troupe portent à merveille la langue de Koltès déchirée, haletante comme la cavale de Roberto Zucco vers la mort.

Micheline Rousselet

Du lundi au samedi à 20h, le dimanche à 15h30, relâche le mardi
Théâtre Gérard Philipe
59 Bld Jules Guesde, 93200 Saint Denis
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 48 13 70 00
www.theatregerardphilipe.com
En tournée ensuite


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