Dans le décor d’une immense plaine balayée par le vent, traversée par le tracé d’une route rectiligne et par une interminable rampe de lancement en béton, deux tandems circulent.

Esther et William, des jeunes gens à la marge de la société et d’une évidente fragilité, poursuivent un but, mais quel est-il ?

Tandis que Cochise et Gilou au volant d’un véhicule tentent de répondre à une curieuse mission qui leur a été commandée : récupérer un téléphone portable de grande valeur volé à leurs invisibles et mystérieux propriétaires.

Esther que William accompagne, persuadée que la fin du monde est pour bientôt, veut absolument revoir une dernière fois son enfant qui lui a été retiré au motif qu’elle est légèrement handicapée mentale, avant de disparaître.

A ces quatre personnages dont les chemins se frôlent sans se croiser réellement, s’ajoutent celui du propriétaire d’un hôtel isolé qui vit dans une serre où il cultive des plantes exotiques, celui d’un mystérieux ecclésiastique qui sera appelé à la rescousse pour enterrer le cadavre momifié d’un SDF retrouvé par hasard par Gilou, un prénommé Jésus dont le regard a la douceur de celui du Christ, sorte de meneur de destins.

Et toute une flopée d’hommes peu recommandables eux aussi à la recherche ou mêlés à la recherche du mystérieux téléphone portable.

Cinéma : les premiers les derniers
Cinéma : les premiers les derniers

Les vastes étendues d’une Beauce de fin du monde donnent à ce récit déjanté, pathétique mais éminemment poétique, tour à tour la dimension d’un western, d’un polar, d’une chronique intimiste, d’une rêverie

Des mondes qui sembleraient plausibles, palpables mais qui s’effaceraient comme par miracle, du moment où on les approche.

Bouli Lanners au lieu de commencer par la construction de son récit, opte d’entrée par une totale déstructuration, comme s’il mettait à plat, avant toutes choses, les différentes pièces d’un kit dont l’assemblage finirait par produire un récit totalement atypique à la fois éloigné de la réalité mais avec des points d’achoppement troublants avec le plausible.

Chacun des personnages pris à part est crédible mais c’est l’assemblage de tous, dans des histoires à la fois voisines, étranges et étrangères les unes des autres, qui produit par un phénomène de sécrétion narrative étrange et inédit, les atmosphères singulières, contrastées ou cohérentes où baigne le récit.

L’utilisation qui est faite de la plaine de la Beauce photographiée comme un vaste espace du bout du monde où tout prend une dimension insolite avec des lieux tellement désertés qu’on peut y laisser pendant des années se momifier un homme dont on est libre d’ imaginer qu’il est mort de faim, de froid, peut-être de solitude….

Les tandems de personnages fonctionnent à merveille : Bouli Lanners toute tendresse et bonhomie dehors face à Albert Dupontel, les pieds sur terre. David Murcia (William) et Esther (étrange Aurore Broutin) innocents et marginaux, paraissant être tombés de la lune.

Un Michael Lonsdale une fois de plus magistral en tenancier d’un hôtel déserté, éleveur d’orchidées. Un Max Von Sydow à la présence troublante ou Philippe Rebbot qui endosse avec sa grande carcasse et son regard christique, la peau de l’ordonnateur de destins.

C’est beau, désespéré, optimiste, confiant, poétique et aventurier.

Bouli Lanners en plus d’être un sensible et beau comédien, est un grand cinéaste singulier et artistiquement généreux.

Francis Dubois


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