Ne pas avoir de travail conduit à l’exclusion, lorsque le chômage dure. Le travail ne procure pas que de l’argent, il rythme la vie, il permet des rencontres, il offre des occasions de s’impliquer, de prendre des initiatives, de s’engager. Bref il crée du lien social. Mais le travail peut aussi créer de la souffrance quand il perd son sens, quand l’individu n’est plus soumis qu’au règne de la productivité et des résultats financiers. Le point de départ de ce travail a été le suicide d’un homme, Philippe Widdershoven, à la fois directeur informatique et délégué CGT d’une fabrique de porcelaine à Chauvigny, en Poitou-Charentes. Cet homme avait laissé une lettre où il dénonçait le système qui l’avait conduit à cet acte désespéré et demandait à ce que son acte soit reconnu comme accident du travail. Contrairement à toute attente, son suicide a été déclaré comme tel par l’entreprise.
Jean-Pierre Bodin et Alexandrine Brisson se sont emparés de son histoire et ont créé un spectacle qui explose d’intelligence et d’émotion. Que représente le travail dans la vie d’un homme, comment s’adapte-t-on aux changements techniques, à un monde du travail où celui-ci a perdu son sens au profit de la recherche de la rentabilité et des impératifs de la Bourse ? S’aidant de textes de Simone Weil et de Sonya Faure, journaliste à Libération, ils ont écrit ce texte. Ils ont surtout fait appel au psychiatre Christophe Dejours, spécialiste de la souffrance au travail, qui a accepté d’être filmé et mis en scène lors d’une rencontre au CNAM. Son analyse vient éclairer le récit que fait l’acteur Jean-Pierre Bodin.
Devant un rideau sur lequel passent des images de jardins ouvriers, sur fond de tours d’habitation, l’acteur interpelle calmement les spectateurs, pose des questions que ceux-ci oublient de se poser – pourquoi parle-t-on d’opérateurs et plus d’ouvriers ? – raconte des vies rythmées par la sirène, la difficulté du travail à la chaîne, la pénibilité du travail en même temps que l’angoisse de le perdre, les plans de restructuration. Il nous raconte comment les entreprises inventent sans cesse de nouvelles méthodes pour pousser les salariés à s’impliquer et à entrer en concurrence. Sur l’écran parfois, des images vidéo défilent. Aux images de quartiers ouvriers d’une petite ville de province, succède sur fond noir un ballet de mains au travail, cousant, lissant, attachant des éléments d’objets que l’on ne voit pas, tirant, accrochant. Ce ballet des mains renvoie à l’importance du corps au travail et l’acteur lui aussi entre dans cette chorégraphie, glissant ou roulant doucement à terre. Sur l’écran alternent des visages renvoyant à ces vies de travailleurs et Christophe Dejours, qui avec des mots simples, apporte son expertise, montrant qu’il n’y a pas que le harcèlement au travail qui fait souffrir. Il y a aussi l’organisation du travail qui isole et divise les travailleurs et la peur de perdre son emploi qui contamine tous les rapports dans l’entreprise.
On sort plein d’admiration pour ce travail qui utilise toutes les ressources du théâtre, un acteur talentueux, de la vidéo, une chorégraphie simple au service d’un propos qui, au final n’est pas si désespéré. Le système ne marche que parce que chacun en prend sa part et il serait temps de chercher à faire autrement.
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h.
Relâche les 24, 25, 28 et 31 décembre ainsi que le 1er et le 4 janvier
Théâtre du Soleil
Cartoucherie
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