Margherira est réalisatrice. Alors qu’elle se trouve en plein tournage d’un film que la présence d’un acteur américain fantaisiste et imprévisible rend compliqué, elle doit chaque jour rejoindre son frère au chevet de sa mère hospitalisée dans un état critique.
Mais les difficultés que rencontre Margherita ne s’arrêtent pas là. Elle doit aussi suivre son adolescente de fille dans ses études, faire en sorte qu’elle n’abandonne pas le latin, rencontrer son dernier compagnon pour lui signifier la fin de leur histoire et tenter d’expliquer aux membres de son équipe une vision de son œuvre en devenir alors que les lignes de travail semblent parfois lui échapper.
Margherita, plongée dans ce gouffre de doutes et de culpabilité parviendra-t-elle à être à la hauteur dans son travail et dans sa vie familiale.
La sélection de Cannes 2015 comportait de grands films.
« Mia Madre » qui est reparti sans figurer au palmarès est de ceux-là et Nanni Moretti qui n’avait pas réalisé depuis « Habemus Papam » en 2011, fait un retour en force et en beauté avec un film magnifique porté par une comédienne de haute volée qui fait une composition magistrale et méritait autant qu’Emmanuelle Bercot qui l’a décroché, le prix d’interprétation.
Nanni Moretti descend les metteurs en scène de cinéma du piédestal où on les place généralement. Il place d’entrée son personnage dans ce qu’il a de plus ordinaire, dans ses préoccupations les plus quotidiennes, voire les plus intimes.
Margherita est sollicitée de toutes parts et au lieu de se consacrer à un seul des sujets qui l’occupent, elle veut faire face à tous à la fois, et bien entendu, ne va au bout d’aucun.
Comment concilier un tournage de film difficile, lui consacrer tout le soin et toute l’attention qu’il mérite et en même temps traverser cette période cruciale de la vie de tout individu qu’est l’approche de la mort de la mère.
Margherita pourrait s’en tenir à ces deux préoccupations de taille mais elles ne suffisent pas à satisfaire sa nature impatiente et perpétuellement insatisfaite qui voudrait que tous les problèmes autour d’elle soient aplanis.
Elle veut faire table nette de ses soucis annexes pour être plus disponible à l’essentiel. Mais ce souci la projette dans une confusion telle qu’elle a du mal à se concentrer sur la réalisation de son film et qu’elle traîne le poids de la culpabilité quand elle constate que le temps qu’elle consacre à sa mère et la qualité de sa présence auprès d’elle sont insuffisants.
Or, alors qu’elle est submergée par la vie et ses problèmes, elle a entrepris la réalisation d’un film politique.
« Mia Madre » fonctionne sur différents modes de narration entre rêve et réalité et si sa construction est virtuose pour passer de l’un à l’autre, ne le sont pas moins les atmosphères contrastées qui chargent le film d’autant d’humour et de drôlerie parfois que de pathétique.
Et ce jeu de passage de l’un à l’autre ne porte pas que sur la tonalité d’une scène. Il peut intervenir au sein de la même scène et varier selon la façon qu’ont les personnages en présence de percevoir l’instant.
Dans certaines scènes de tournage qui sont franchement irrésistibles (John Turturro est parfois très drôle), l’hilarité est nuancée par les signes du doute qui se lisent au même moment sur le visage de Marghareta que semblent assaillir tous ses préoccupations à la fois.
Nanni Moretti réussit à faire un film ample, une œuvre d’envergure en restant dans le domaine de l’intime et des sentiments retenus en renvoyant une réalisatrice de film, dont on attend qu’elle soit inébranlable, à ses doutes et ses insatisfactions intimes et professionnelles.
Un beau personnage de femme étayé par des personnages secondaires méticuleusement travaillés jusqu’au plus petit. Nanni Moretti est parfait en frère rassurant.
Une grande œuvre sensible, pathétique et drôle.
Francis Dubois
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