Un film d’Otar Iosseliani ne se raconte pas.

« Chant d’hiver » ne se raconte pas plus que ne se racontaient ses films précédents depuis «  Les favoris de la lune « , première réalisation en France en 1984 du metteur en scène géorgien.

On entre dans l’univers d’Otar Iosseliani ou on reste sur la touche. Mais si on y entre, on est sous le charme, fasciné par un cheminement narratif en labyrinthe, par un fourmillement inventif, par les grands écarts du récit, sa façon virtuose de passer du coq à l’âne.

« Chant d’hiver » commence par une séquence en costume qui reconstitue une décapitation à la guillotine pendant la révolution française. Mais il ne s’agit que d’un prologue qui crée un passé lointain à l’un des personnages principaux qu’on retrouvera ultérieurement curé dans une régiment militaire, chevalier d’un ordre occulte, ami avec des bourreaux ou rescapé d’on ne sait quel massacre.

On retrouve le Vicomte guillotiné pipe au bec pendant la terreur dans les séquences contemporaines sous l’apparence d’un concierge d’immeuble mais ses fonctions et son comportement évolueront au fur et à mesure du film.

Chez Otar Iosseliani, on peut être un lettré, une érudit et se livrer à des trafics plus que douteux. On peut collectionner des ouvrages anciens et les troquer contre des armes, on peut pousser une porte qui semble être une entrée de prison et découvrir derrière, au lieu de longs couloirs sombres, un jardin luxuriant peuplé d’oiseaux exotiques.

Chez Otar Iosseliani, un voleur à la tire qui appartient à une organisation de malfaiteurs peut tomber amoureux d’une violoniste qui se trouve être la fille du Préfet…Ce dernier qu’une organisation secrète va faire disparaître dans les égouts…

Un jeune homme récupère des briques et des pierres avec lesquelles il construit une maison qui servira à abriter ses amours avec une prostituée repentie.

Les camps de migrants se font évacuer de façon musclée par les forces de l’ordre avant d’être sauvagement détruits par les bulldozers pendant que les nantis prennent le thé dans de la porcelaine, sur une terrasse, face à un magnifique parc tiré au cordeau…

Cinéma : Chant d'hiver
Cinéma : Chant d’hiver

Le récit est sans cesse contrasté, éclaté, déjanté. Les personnages sont en constante évolution ou transformation et la séquence où l’on croyait avoir saisi un repère, un point d’ancrage narratif, échappe comme une anguille et la suite est toujours là où on ne l’attendait pas.

Et puis tout à coup, comme l’accalmie vient après la bourrasque, les différents récits se ramassent sur eux-mêmes et les séquences éclatées se rassemblent sur leur sujet.

Celui des personnages qui cherchait son pendant le trouve. Et les chamailles amicales cessent pour trouver un chaleureux dénouement.

Une certaine linéarité se met en place mais dans des atmosphères qui la détournent et n’appartiennent qu’au monde insaisissable, lumineux, poétique, cruel, unique et singulier d’Otar Iosselini, un cinéaste aussi grave que farceur.

Car s’il est grave et farceur, Otar Iosseliani ne l’est pas à tour de rôle mais bel et bien, dans le même instant.

Les familiers du metteur en scène trouveront avec «  Chant d’hiver  » le même plaisir qu’ils ont eu avec « Adieu, pla ncher des vaches « , «  Lundi matin  » ou «  Chantrapas » . Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, ce film est l’occasion rêvée de le découvrir.

Francis Dubois


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