Mars 1951, Charlie Parker, 31 ans, connaît une vie tranquille, heureuse du moins apparemment. Il a emménagé avec « Chan » dans un quartier mi-ukrainien mi-loubavitch. Il joue à la perfection le rôle d’un père de famille de cette fameuse « classe moyenne » dont on parle beaucoup aux États-Unis à cette époque entre deux procès du sénateur McCarthy et de sa commission des activités « unamerican ».
Il se fait quand même arrêter pour possession de drogues et écope d’une peine de prison avec sursis. Il perd, de ce fait, sa carte de musicien et ne peut plus jouer dans les clubs de New York mais il peut enregistrer et se produire ailleurs.
Ce volume 10 couvre un an de la vie de l’Oiseau, mars 1951 à mars 1952. Il vole de plus en plus haut et semble avoir acquis une maîtrise époustouflante. L’ouverture se fait, ici, au Birdland avec Diz – Gillespie -, Bud Powell au piano qui fait preuve d’une invention qui aurait dû déstabiliser les deux compères, Tommy Potter à la contrebasse et Roy Haynes à la batterie plutôt dans la lignée de Max Roach. Laissez-vous porter par la musique. Bird and Diz prennent leur temps, développent leurs idées. On voudrait qu’ils n’en finissent plus…
Bird part ensuite à la rencontre de Woody Herman et de son orchestre. Woody n’a jamais caché son admiration pour le génie parkérien et l’accueille en conséquence. Comment fait-il pour trouver aussi facilement ses marques, pour inventer encore et toujours ? Là est le mystère…
Il enregistre aussi pour Norman Granz – il a signé un contrat – pour le label Clé/Mercury en compagnie d’un quintet où il retrouve « Red » Rodney, John Lewis. La nouveauté tient, paradoxalement, au batteur. Kenny Clarke n’avait jamais franchi les portes d’un studio avec Parker que ce 8 août 1951. Norman Granz lui demande de refaire ce « Lover Man » qui avait précédé sa dépression et son entrée au Camarillo Hospital. Il en toujours voulu – et il le redira à Down Beat – à Ross Russell, responsable du label « Dial », de l’avoir publié. Pourtant c’est une version déchirante et celle-là n’en est qu’une pâle copie. Parker n’avait sans doute pas envie de revivre cette expérience qui semble s’évanouir dans ce présent dans lequel il se sent bien.
Enfin, il renoue avec l’orchestre à cordes dans lequel il incarne le rôle de « crooner », un choix étonnant mais qui, par rapport aux arrangements assez lourds de Lippman, était une voie adaptée. Il en a eu sans doute la prescience en entrant dans le studio.
Entre temps, il prend un plaisir, qui s’entend, à jouer et à se jouer de thèmes dits « latino » bien aidés par Max Roach et Walter Bishop.
Pour finir, lui et Diz sont invités par le pianiste Dick Hyman à se produire dans une émission de télé pour fêter le prix de la revue Down Beat. C’est le seul document filmé que nous possédons de Parker en train de jouer en compagnie de Diz. Les autres images sont les restes d’un film que Gjon Mili – le réalisateur de « Jammin’ the Blues » – avait voulu consacrer à l’Oiseau sans en avoir le temps.
Pour indiquer que les gens heureux n’ont pas d’histoire, le livret signé comme à l’accoutumée par Alain Tercinet, est moins épais que les précédents… Mais la musique est d’une épaisseur qui ne se laisse pas épuiser à la première écoute.
Au total, ce coffret de trois CD fait partie des indispensables. Mis à part les plages en grand orchestre, il offre une sorte de vision idyllique de l’art du Bird. Ne le ratez pas. Envolez-vous !
Nicolas Béniès.
« Intégrale Charlie Parker, « Back Home Blues », 1951-1952, volume 10 », livret et choix d’Alain Tercinet, Frémeaux et associés.
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu