En juillet 2006 quand se déclare la guerre avec Israël, le réalisateur Philippe Aractingi quitte une nouvelle fois le Liban avec sa femme et ses trois enfants.

Avec ce nouvel exil, il prend conscience du fait que, comme lui, ses ancêtres ont fui les guerres et les massacres depuis cinq générations et qu’aucun d’eux n’est mort dans le pays qui l’a vu naître.

Dans une fresque qui couvre cent années, de 1913 à 2013, il fait se croiser, avec un constant souci de légèreté et une grande part de créativité, photos, archives familiales et nationales et des moments de fiction où il intègre ses enfants pour rendre compte des pérégrinations de sa famille à travers le Levant.

« Héritages  » est un film sur l’exil, la mémoire et la transmission qui se veut le plus objectif possible et où l’émotion est de tous les moments.

Pour Philippe Aractingi, la guerre entre Israël et le Hezbollah était la énième qui venait s’inscrire dans sa vie et lui qui avait jusque-là, dans ses documentaires comme dans ses fictions, filmé la vie des autres, allait cette fois-ci s’intéresser à la sienne et à celle de ses ascendants.

Cinéma : Héritages
Cinéma : Héritages

Il a éprouvé tout à coup le besoin, l’urgence de raconter ce départ hâtif en bateau militaire vers la France, de revenir sur les raisons pour lesquelles lui avait quitté le pays alors que d’autres y étaient restés, le sentiment de culpabilité qui le poursuivait…

Son histoire en rejoignait d’autres, celles de familles migrantes d’origines multiples qui avaient vécu des moments semblables.

Besoin de se justifier, de se disculper, besoin d’expliquer à ses enfants, non pas directement mais par l’intermédiaire d’un film auquel il allait les associer, ce qu’est une guerre et les raisons pour lesquelles on prend la décision de s’exiler.

Il disposait comme autre matière, l’histoire de sa grand-mère qui, quatre-vingt-dix ans plus tôt, avait aussi quitté son pays natal par bateau militaire au moment où les troupes françaises avaient débarqué en Orient.

Une coïncidence qui l’a aidé à remonter le temps pour constater que tous ses aïeuls ont dû fuir une guerre ou un massacre au moins une fois dans leur vie.

Sa famille était-elle prédestinée à l’exil ou était-ce le Levant qui portait en lui ces mêmes histoires répétées de guerre et de fuite ?

Et tout à coup Philippe Aractingi découvrait qu’il avait toujours fui l’explication alors qu’il en devait une à lui-même et à ses enfants dont les questions devenaient de plus en plus pressantes, le regard sur les événements de plus en plus aigu.

Il décide alors que ses enfants n’allaient pas écouter l’histoire proche ou ancienne du déracinement mais qu’ils allaient la jouer devant la caméra en reprenant le rôle de leurs ancêtres.

Et c’est en métamorphosant la souffrance en une œuvre artistique, en l’abordant par un vrai travail collectif de toute la famille, que la vérité s’est dévoilée et que le réalisateur a pu du même coup rapprocher la grande histoire de l’histoire intime.

« Héritages  » est un voyage dans le temps abordé de façon ludique. C’est aussi une réaction contre le rapport qu’ont les libanais à leur passé.

Dans les écoles du Liban, les manuels d’histoire s’arrêtent en 1943, au moment où le pays accède à l’indépendance.

Au-delà de cette date, aucune version de l’histoire contemporaine n’a été validée.

Sous cet éclairage particulier, «  Héritages » prend la valeur d’un document pédagogique. Il devient une sorte de référence et c’est ainsi que le film est projeté dans plus de 70 lycées dans le pays.

Francis Dubois


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